lundi 28 juin 2010

"La vie aquatique" ou l’impossible paternité

Réalisé par Wes Anderson et sorti en 2004, avec Bill Murray, Owen Wilson, Cate Blanchett, Anjelica Huston, Willem Dafoe et Jeff Goldblum.

À première vue, l'on peut se demander ce que vient faire cette brochette d’acteurs célèbres dans une comédie qui ne paye pas mine.
L’histoire est celle d’une équipe d’explorateurs bigarrés (dont le personnage principal, le capitaine Steve, vient de retrouver son fils putatif), partie à la recherche d’un « requin-jaguar » afin d’en tirer un documentaire et une vengeance, le requin en question ayant lâchement dévoré le « père de l’équipe » lors de la première partie du reportage.
Ce n'est pas terrible comme scénario ; certes, c'est une comédie, mais les décors sont filmés sur le mode documentaire, les effets spéciaux semblent plus que datés, l’ensemble est visuellement suranné, comme une parodie de Cousteau. D'ailleurs, le film ne s’en cache pas, ce dernier est explicitement mentionné, et Anderson pousse la caricature jusqu’à faire porter aux acteurs le fameux bonnet rouge dans toutes les situations. On assiste à une permanente mise en abyme entre film et documentaire qui finissent par ne faire plus qu’un.
Visuellement donc, le film d’Anderson reprend les codes du documentaire, les plans sont relativement simplifiés, on filme horizontalement et verticalement. Les scènes à l’intérieur du bateau sont filmées en plan de coupe (comme si l’on avait enlevé la coque du bateau), Anderson ne prend pas la peine de faire semblant, il filme les décors.
La vie aquatique se met à ressembler à une farce de cinéaste. D’ailleurs, les quelques scènes révélant un peu de sentimentalité (appuyées par un équipier à bonnet, chantant des reprises de David Bowie en portugais et s’accompagnant à la guitare) ne s’enlisent jamais, et sont toujours ponctuées par un élément grotesque, voire vulgaire. Les scènes d’action, quant à elles, perdent toute crédibilité du fait des petites ritournelles ringardes (il faut voir Bill Murray en combinaison de plongée en train de se trémousser), composées sur synthétiseur et censées rythmer le documentaire.

C’est une bonne comédie et l’on rit, mais on peut aussi voir en filigrane, l’une des principales préoccupations des films d’Anderson : la famille ; plus particulièrement ici la question de la paternité.
Le capitaine du navire (Murray) découvre, au début du film, qu’il a un fils putatif (Wilson) et c’est cette relation et les difficultés de la paternité qui vont jalonner le film. Sans aborder la question de manière sérieuse, Anderson nous propose cependant une vraie réflexion sur ce qu’est être un père. Par petites touches, il esquisse les impasses de cette relation. Mais tout le film tourne autour de cette question : ainsi, on apprend au début que c’est « le père de l’équipe » qui est mort dévoré, la journaliste embarquée sur le bateau est accueillie avec cette phrase : « d’où est-ce que vous débarqué ? Vous avez l’air enceinte », le capitaine finira par dire : « « Je déteste les pères et je n’ai jamais voulu en devenir un » et enfin sa femme conclura en disant : « Est-ce qu’il y a un père dans cette histoire ? ».

Cette dernière phrase résume assez bien le sentiment qui se dégage de La vie aquatique : il n’y a pas de père ou alors avec beaucoup difficultés. On peut reprendre à grands traits l’articulation des rapports en Steve le capitaine et son fils Ned. Dans un premier temps, ce dernier n’a pas connu son père autrement que par les documentaires qu’il a vus et par les affiches le représentant en grand explorateur, le doigt pointé vers l’horizon. C’est à partir de ces éléments que Ned s’est imaginé son père, une sorte de héros.
Puis, la rencontre avec le vrai père, celui de la réalité s’est avérée assez cruelle : il est dépressif, alcoolique, gentiment drogué, un peu cambrioleur, misogyne (il affuble la journaliste enceinte du surnom de « camionneuse » parce qu’elle refuse ses avances), n’a plus de succès sentimentaux (sa femme le quitte aussi), ni professionnels… Finalement, à la place d’un héros, Ned trouve un raté qui, à propos du fameux poster, dira : « j’ai jamais été cet homme-là ».
Cependant, dans un dernier temps, parce que sa mère lui a dit qu’il était son père et parce que ce dernier l’accepte comme son fils, une certaine forme de transmission va s’installer. Non pas tant que Steve se révèle un père exemplaire ; au contraire, il rate piteusement toutes ses tentatives pour faire « comme si » (notamment celle de renommer son fils). Anderson ne veut pas filmer les émouvantes retrouvailles d’un père et de son fils, il filme le malentendu de leur relation et comment malgré tout s’établit un lien symbolique de filiation. On retrouve cette problématique à tous les niveaux du film d’Anderson, mais aussi dans le reste de son œuvre, par exemple dans La Famille Tenenbaum
La double lecture de La vie aquatique confère ainsi à ce film, au premier abord sans prétention, une vraie densité, qui derrière la comédie, pose la question essentielle de la paternité.

GV

Images : affiche du film (source ici), photo avec de gauche à droite : Bill Murray, Wes Anderson et Cate Blanchett (source ici), photo de Bill Murray dans sa fameuse combinaison de plongée (source ici).

3 commentaires:

  1. Un film qui ne paye pas de mine à première vue, mais après tout ce qui en est dit, il va falloir y regarder de plus près !

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  2. Le Commandant Cousteau ne meurt jamais ! À noter que son petit-fils tente actuellement de reprendre le flambeau en luttant contre la marée noire en Louisiane.

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  3. Le casting est redoutable et ce film loufoque se teinte parfois de mélancolie, ce qui ne lui donne que plus de charme.

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