Depuis
plus d’un siècle et la célèbre phrase attribuée à Clemenceau, on sait que le Brésil est un pays d’avenir ; mais pour combien de
temps encore ? Coupe du monde, Jeux olympiques, pétrole, le pays est à la
mode en ce moment et Rio de Janeiro
est en première ligne. À l’heure des élections, on nous assure que tout va bien
depuis que Lula l’a remis sur les
rails. Les chiffres le prouvent, les indicateurs sont au vert, et l’on craint
même la surchauffe.
Rio
est la vitrine de ce Brésil, nouveau géant de la planète qui entend jouer sa
partie dans le concert des nations. Les récentes découvertes de vastes réserves
de pétrole au large de « la plus belle baie du monde » promettent au
« Fleuve de Janvier » des lendemains qui chantent, même si le Christ
de Corcovado a toujours les bras
entrouverts, attendant que les Cariocas se mettent au travail pour applaudir.
Cependant,
en se rendant sur place, on s’aperçoit du chemin qu’il reste à parcourir avant
que la ville ne ressemble définitivement à la carte postale qu’on ne cesse de
nous vendre. Ainsi le récent hors série du Monde titre à propos de Rio : Sur la voie de la
renaissance, l’article se concluant
par cette assertion : « le moral au zénith, sûre de son éternelle
beauté, Rio attend avec confiance ses futurs rendez-vous avec le sport. »
S’il
est vrai qu’on n’obtient pas par hasard l’organisation des deux plus grands
évènements sportifs de la planète à deux ans d’intervalle (2014 : coupe du
monde, 2016 : les JO), sur place les mutations de la ville sont
impressionnantes mais vont surtout dans le sens d’une ségrégation génératrice
de violence.
En
1942, Bernanos disait déjà à
propos du quartier Botafogo de Barbacena (son lieu de résidence) :
« Je n’ai pas besoin d’être un prophète pour vous prédire, à coup sûr, quel est le destin réservé à Botafogo. Les villas des gens riches de Barbacena, d’un style déplorablement américain — de ce style que Hollywood a rendu populaire —, monteront bientôt à l’assaut de ma colline et viendront étaler au soleil leurs vérandas de ciment, leurs mosaïques de couleurs tendres… Une fois de plus le monde moderne aura triomphé non de la misère, mais des misérables. »
Car
c’est bien ce que l’on observe tout autour du centre-ville de Rio et notamment
dans l’ouest vers Barra et
maintenant Recreio. Des condominiums (ensembles de tours ou de maisons construits afin
d’assurer la sécurité de leurs habitants, surveillés 24 h/24 par des gardes,
des caméras et entourés de hautes palissades) poussent comme des champignons,
rejetant les habitants des favelas toujours plus loin ou, pire encore, leur
infligeant l’étalage vulgaire de galeries commerciales auxquelles ils ne
peuvent accéder. Car c’est là l’une des particularités du Brésil et de Rio en
particulier : la misère y côtoie la richesse, voire le luxe.
Ainsi,
traverser Rio en voiture c’est passer, en quelques secondes, des quartiers très
huppés aux favelas, zones toujours dangereuses, car les braquages y sont
nombreux. Les vitres teintées ne sont pas une option, la plupart des
automobiles en sont pourvues, les plus riches prenant l’hélicoptère. Le
gouvernement, devant la recrudescence de ces braquages de voitures par des
individus à motos, a envisagé un temps d’interdire le transport des passagers
sur les deux roues, mais a dû renoncer face au tollé général.
Pourtant,
circuler en voitures c’est aussi faire face à un autre danger redoutable :
les embouteillages ! La ville se trouve en ce moment saturée, matin et
soir, et l’on imagine mal comment elle pourrait faire face à l’afflux de
touristes et de visiteurs généré par des évènements tels que les JO. Cependant
si vous êtes pris d’un petit creux, vous trouverez facilement des vendeurs
(parfois en fauteuil roulant) au milieu de l’autoroute pour vous proposer
cacahuètes chaudes, boissons, etc.
On
peut certes incriminer les travaux gigantesques qui ont lieu en ce moment sur
le réseau routier, mais au-delà de cette constatation, on note aussi la
difficulté de se déplacer en transport en commun. Il n’y a qu’une ligne de
métro qui se partage heureusement en deux. Certes, les bus sont nombreux, mais
il n’existe aucun plan.
Pour
revenir au problème de la violence, il ne faut pas compter sur l’entraide. Le
réflexe commun en cas d’agression d’un tiers dans la rue est de se baisser
(pour éviter les balles perdues) et de courir sans se retourner.
Bien
sûr, vous pouvez aussi entendre d’aucuns, de retour de Rio, ayant vécu à Copacabana et circulé en taxi, dire qu’il n’y a aucun problème
et que la vie n’est qu’un long fleuve tranquille jusqu'à Ipanema. Ce sont là ceux que Bernanos appelait « les
conférenciers d’Europe » qui « ne connaissant de cette terre immense
qu’un petit nombre de jardins botaniques et de casinos (…) en ont fait au naïf
public de snobs une peinture aussi facile, aussi accablante de monotonie dans
la fausse splendeur, que les écœurants paysages californiens popularisés par
les cinémas de Hollywood (oui, Bernanos n’aime pas ce grand pourvoyeur de
films !), et qui doivent correspondre si exactement à l’idée qu’un
milliardaire méthodiste peut se faire du paradis terrestre. »
Sur
le plan culturel, peu de choses… Il faut tout de même visiter le Musée international d’art naïf à côté du Corcovado. Attention à ne pas le
manquer, car une dizaine de mètres plus loin, ce sont les favelas qui vous
attendent. Un employé vient gentiment ouvrir le cadenas qui ferme les grilles
d’entrée. Sur trois étages d’une vieille maison, on peut y voir une fresque (la
plus grande peinture d’art naïf au monde !) qui reconstitue l’histoire du
Brésil. Ne pas oublier de lire aussi le brillant exposé du directeur qui oppose
l’art populaire (qui ne fait que reproduire les mêmes figures sans originalité)
à l’art naïf (qui lui puise son inspiration dans une profonde liberté). Bref,
il ne faut pas confondre les peintures de la rue avec les tableaux exposés. Au
sous-sol, une salle est réservée au Douanier Rousseau dans laquelle on peut admirer de belles photos
reproduisant ses chefs-d'œuvre.
On
attend donc avec impatience de voir quel visage Rio va donner de lui-même dans
les prochaines années, même si, comme Bernanos, nous ne doutons pas que « le monde moderne
triomphera des misérables ».
GV
Images : vue de Rio prise depuis le Corcovado, vue de Rio depuis le Pain de sucre, photo prise depuis le Musée international d'art naïf (GV).
Article fort intéressant qui montre une toute autre image des habituelles cartes postales, en effet. Dommage qu'il n'y ait pas de photos des fresques d'art naïf, je serais curieux de voir ça.
RépondreSupprimerPassionnant article sur Rio!
RépondreSupprimerComplexe, car si cette ville attire énormément, on comprend néanmoins qu'elle est loin de ressembler au decorum de carte postale idyllique qu'on nous présente...
Intéressant, ce tour d'horizon politique qu'on n'avait plus vu depuis quelque temps. Cela pousse à la réflexion, ce qui, je crois, est un des piliers de ce blog. Chapeau pour la performance, qui nous présente un Rio que tous les visiteurs connaissent, et dont on parle toujours assez mal, sauf ici.
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